» Le ton des chairs est sale, le modelé nul… ici, il n’y a rien, nous sommes fâchés de le dire, que la volonté
d’attirer les regards à tout prix. » Cette critique de Théophile Gautier dans le Moniteur Universel du 24 juin
1865 règle son compte, du moins le pensait-il, à l’Olympia qu’Edouard Manet a présentée au Salon la même
année.

Edouard Manet peint son Olympia en 1863. Malgré les références appuyées à la Vénus d’Urbin que Manet
avait copiée en Italie en 1853, le tableau suscite un scandale retentissant, plus encore que le « Déjeuner sur
l’herbe » rejeté par le jury du Salon de 1863.

La pose est semblable, le regard tourné vers le spectateur, avec pudeur chez Titien, directement chez Manet, ce qui a été immédiatement perçu comme la provocation d’une prostituée, fut-elle de luxe. Le chien de la Vénus, symbole de fidélité, est remplacé aux côtés d’Olympia par un chat noir aux yeux brillants qui évoque la lubricité. Les servantes qui s’affairent au fond de la toile de Titien cèdent la place chez Manet à une soubrette noire qui porte un bouquet enveloppé dans du papier froissé.
Théophile Gautier poursuit:
» … et que dire de la négresse… et du chat qui laisse l’empreinte de ses pattes crottées sur le lit. «
Les deux femmes ne portent qu’un bracelet, avec en prime un tour de cou pour Olympia.
Même pose alanguie, mais cette fois les yeux fermés pour le tableau de Giorgione, peint en 1510, et dont on dit
qu’il a été achevé par Titien, qui fut son élève.

Quand on regarde attentivement ces femmes, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le rôle assigné à leur
main gauche… si le but des artistes n’était que d’en cacher le sexe, pourquoi les doigts des Vénus seraient-ils
repliés, évoquant tout autre chose ? La main la plus pudique est probablement celle peinte par Manet….

Edouard Manet s’est également inspiré de La Maya nue, peinte entre 1795 et 1800 par Francisco de Goya. Cette dernière ne s’embarrasse pas de coquetteries pudiques. Ses bras, ramenés en arrière, découvrent tout ce qu’il y a à voir, au grand dam de l’Inquisition qui intenta à l’artiste espagnol un procès pour obscénité.
L’Olympia de Manet, que certains visiteurs du Salon on tenté de percer à coup de parapluie, a trouvé néanmoins quelques défenseurs, et non des moindres. Ainsi, Emile Zola, écrivait dans la revue du 19ème siècle, le premier janvier 1867:
» J’ai dit chef-d’œuvre, et je ne retire pas le mot. Je prétends que cette toile est véritablement la chair et le
sang du peintre, et que jamais il ne la refera. Elle est l’expression complète de son tempérament ; elle le contient tout entier et ne contient que lui. Elle restera comme l’œuvre caractéristique de son talent, comme la marque la plus haute de sa puissance, comme la mesure de sa force. J’ai lu en elle la personnalité d’Édouard Manet, et lorsque j’ai analysé l’artiste lui-même, j’avais uniquement devant les yeux cette toile qui renferme toutes les autres. «

En 1890, 7 ans après la mort de Manet, Claude Monet lance une souscription pour racheter l’Olympia à
Suzanne Leenhoff, sa veuve, qui en demande 20 000 francs. Après de nombreuses péripéties, le tableau entre au Musée du Luxembourg, puis au Louvre, au Jeu de Paume et enfin en 1986, au Musée d’Orsay, où il se trouve actuellement.